Comment l'éducation populaire peut-elle changer la donne en matière d'égalité femmes-hommes ? Comment les compétences humaines et civiques fondamentales enseignées aux Cités d'Or peuvent-elles préparer le changement de mentalités dont la nécessité a été rendue visible par les mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc ? A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous nous posons la question de savoir quelle contribution notre association peut apporter... Et s'il ne s'agit là que "d'une affaire de femmes".
Proposée pour la première fois en 1910 lors de la conférence internationale des femmes socialistes, il faut attendre 1977 pour que la journée internationale des droits des femmes soit fixée au 8 mars par l’Organisation des Nations Unies et 1982 pour qu’elle soit reconnue en France.
Cette année, il est fort à parier que cette journée ne passera pas inaperçue, suite au succès viral des mouvements #Metoo et #BalanceTonPorc.
Pour la première fois, les violences faites aux femmes sortent du cadre de la sphère privée et du domaine de l’intime pour se rendre visible aux yeux de toutes et tous. Pour la première fois dans le débat public, on prend conscience que ces violences ne sont pas des cas isolés, qui ressortent simplement du domaine psy, mais bel et bien des actes qui trouvent des racines sociologiques, politiques et culturelles avant tout.
Comment la pédagogie des Cités d’Or contribue à changer la donne en matière d’égalité femmes-hommes ?
La pédagogie dispensée par les Cités d’Or, association lyonnaise d’éducation populaire et d’empowerment, œuvre pour faire bouger les lignes et avancer dans l’égalité femmes-hommes. Nous sommes convaincus que les cinq compétences fondamentales que sont la compréhension du monde contemporain, savoir s’informer, savoir tisser du lien, prendre connaissance de soi et confiance en soi et savoir s’exprimer sont nécessaires à toute transformation, qu’elle soit personnelle ou sociale. Explication.
La compréhension du monde contemporain permet de déceler les mécanismes invisibles qui régissent nos relations. En effet, toute interaction entre dans un contexte spécifique, avec une histoire, des acteurs et des intérêts propres. Pour savoir se positionner, pour saisir les trames cachées de nos interactions et de nos positionnements face à l’autre, il est important d’entrer dans une pensée complexe où se mêlent Histoire, trajectoires et enjeux présents.
En effet, qu’est-ce qui permet qu’aujourd’hui encore, les femmes soient moins payées que les hommes à compétences, expériences et horaires égaux ? Comment se fait-il que tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint ? Que 82% des françaises aient connu le harcèlement de rue avant leurs 17 ans ? Qu’en dépit de leur niveau d’études statistiquement supérieur à celui des hommes, les femmes soient les premières victimes de la précarité de l’emploi ?
Il ne s’agit pas là de phénomènes naturels, mais de faits construits et maintenus socialement. Il est donc important de déconstruire nos préjugés et nos idées reçues grâce à une compréhension poussée du monde contemporain.
Cette compréhension est toutefois indissociable de la bonne prise d’information : en effet, comment être en mesure de se forger une opinion si les sources ne sont pas fiables, si elles sont erronées ou manipulées ? A l’heure des scandales dénonçant la prolifération des fake news, il apparait aujourd’hui plus que jamais indispensable de s’armer en tant que citoyen ; cela passe inévitablement par la capacité à savoir s’informer.
Aux Cités d’Or, nous pensons aussi que la connaissance de soi est essentielle afin tout d’abord, d’avoir pleinement confiance en soi mais aussi afin de comprendre l’autre. C’est sans doute dans cette lignée que s’inscrit la ville de Lyon en incitant les hommes à réfléchir sur la posture qu’ils prennent au quotidien ; comment perpétue-t-on un système de dominations sans même m’en rendre compte.
D’aucuns citeraient l’usage de la parole comme l’un des mécanismes de ce que Bourdieu appelle la violence symbolique. La sémantique, parlons-en. Savoir s’exprimer, ce n’est pas avoir une syntaxe et une grammaire irréprochables, ce n’est pas manier la langue avec précision et dans toutes ses subtilités. Savoir s’exprimer, c’est avant tout faire passer un message, sans violence, sans manipulation. C’est entrer dans un débat où chacun à sa place et son mot à dire, sans discrimination et sans jugement et c’est là tout un pan de la pédagogie des Cités d’Or.
Prenons un exemple concret : l’américain Jackson Katz, éducateur et écrivain spécialisé dans les violences conjugales, décompose une formulation que l’on entend souvent lorsqu’on parle des femmes victimes de violences. Combien de fois avez-vous entendu dire qu’une femme ‘se faisait frapper’, ou ‘se faisait violer’ ? Cette utilisation syntaxique révèle en fait ce qu’on appelle en anglais le ‘victime blaming’, autrement dit blâmer la victime pour l’acte qu’elle a subi. Dans l’affaire, l’acte de l’agresseur n’est pas directement puni ; ce dernier n’est d’ailleurs, dans bien des cas, pas même cité.
Or, ainsi que l’exprimait dans une vidéo émouvante Christiane Taubira, personnalité chère aux Cités d’Or qui nous avait fait l’honneur de sa présence lors d’une Audition Publique exceptionnelle en 2013, une femme est frappée, elle est violée. Ce n’est pas à la victime d’être reconnue coupable de ce qu’elle subit ; la femme n’est pas le sujet de sa propre agression.
La question aujourd’hui est donc de savoir comment tisser un lien autre entre femmes et hommes, un lien qui ne soit pas basé sur l’oppression d’un genre sur un autre. Comment savoir tisser un lien égalitaire pourrait nous permettre à toutes et à tous de grandir en tant qu’acteur et actrice de la société et de notre vie.
Margaux Boué